Bruce Bégout, gardien du dégoût


Avec Le ParK, l’écrivain et philosophe Bruce Bégout fossoie notre monde en repoussant à l’extrême-limite la notion du divertissement.

Finalement, il n’y avait que celui-là de possible pour mettre un terme à l’absurdissement des parcs à thèmes qui fleurissent de par le monde, et à ce besoin de délimiter des périmètres et définir des règles pour le moindre de nos mouvements. Car quel est le meilleur parc, le plus grand, le plus frissonnant, le plus gerbant, si ce n’est le … ParK. Un parc majeur qui engloberait tous les autres, ceux «pour les plantes, les animaux (…), et même pour des appareils hors service, des parcs de loisir, de détention, de stationnement, de protection», où tout serait possible sans contrainte d’argent ou de morale, un lieu qui rassemblerait tout ce que l’être humain a pu imaginer de plus pernicieux pour y concentrationner un maximum de bipèdes sur un minimum d’espace. Pensez à Lost, la série. Et jouez avec vos héros comme s’ils étaient des marionnettes et que vous puissiez en tirer les ficelles comme bon vous semble. Ajoutez-y tous les souvenirs qui peuvent vous passer par la tête, de Jurassic Park aux camps de concentration, de l’asile pour foldingues de Shutter Island aux rêves abracadabrants d’émirs moyen-orientaux, d’un souvenir walibien à la récente expo Dreamlands présentée au Centre Pompidou.
Le ParK, avec un K majuscule comme Kalt du nom de son fondateur-mécène (quand l’architecte se prénomme Licht), est tout cela, poussé à son paroxysme. Imaginé sur une île privée au large de Bornéo, il est le fantasme d’un dictatainment qui avance masqué. Après les parcs miniaturisés, notre monde legoifié ou une Las Vegas qui se rêve en ville-monde, le ParK est l’étape suivante. «On perçoit déjà les signes tangibles d’une certaine lassitude des masses occidentales face à l’offre de divertissement qui, faute d’idées nouvelles, caricature ses propres produits en leur donnant des proportions gigantesques et vaguement ridicules». Le Park est une irréalité basée sur d’inquiétants faisceaux existants (au hasard, des tour-operators visitant des banlieues chaudes, des gated communities, des pékins jouant aux SDF…), une sorte de voyage mental dont l’objectif final serait de reprendre son existence en mains pour cesser de la vivre par procuration. Que ce soit en faisant le bien, le mal ou quelque autre int(erv)ention qui de toutes les manières viserait à un asservissement de l’être humain. A propos de son précédent essai, il analysait: «Les exemples de l’indécence sociale sont multiples, quotidiens, gigantesques». Alors, et même si la fin de son essai-roman manque de souffle, après l’affrontement de l’être et du paraître, celui-ci semble bien se liquéfier au profit du jouer. Façon Shakespeare, ça donnerait: To play or not to play. Pour le coup, il semble préférable d’arrêter la partie rapidement. Car la blague n’est plus très drôle. (mp)

Le ParK, Bruce Bégout, éd. Allia, 152 p.