Lorsque la poésie s’empare du réel

critiques

Un texte âpre de Marina Skalova qui questionne la nature de l’étranger et renvoit à quelques grandes pages de Max Frisch dans Andorra. Un format court, elliptique, moral.

Jeune femme au caractère bien trempé, Marina Skalova envisage la poésie comme une lutte, les mots comme des armes. Elle-même enfant de l’exil (de sa naissance à Moscou en passant par une période allemande avant de venir étudier en Suisse), Marina sait ce que cela fait d’être un autre. Loin d’une altérité idéalisée par le regard d’un Michel de Montaigne curieux de tout ce que le monde portait comme promesses à la Renaissance, la poétesse contemporaine se saisit de nos angoisses pour dire la différence.

Etranger ici et ailleurs
Ainsi son personnage, l’étranger, narrateur d’un voyage improbable qui l’a mené d’une terre qui restera non nommée vers une île qui fleure bon l’allégorie, se heurte aux murs des préjugés. Accepté par certains qui lui offrent le logis, rejeté par d’autres qui moquent son accent, cet homme que l’on devine dans la fleur de l’âge erre en quête de silence, de reconnaissance aussi. On l’accueille, parfois. Lorsque tout va bien, pointe Skalova. Car dès que le vent tourne, apportant pluies torrentielles et épidémies, l’étranger se voit affublé de pouvoirs sorciers. On le montre du doigt et aucun n’ignore plus, comme par miracle, sa présence sur l’île. Ceux-là même qui n’ont jamais tendu la main pour le saluer ne se gênent pas pour le montrer du doigt : coupable.

Où la superstition remplace la foi
Comment ne pas interroger nos propres pratiques face à ce texte fort, si elliptique qu’il nous laisse, à nous lecteurs citoyens, le loisir (l’obligation morale ?) de remplir les espaces vides de la narration. Skalova ne choisit pas les mots au hasard, elle en connaît la puissance. Et c’est dans un mélange entre poésie et réel qu’elle nous extrait de notre zone de confort, mettant le lecteur dans une position de citoyen, sans morale, par la force de la parabole.

Des relents d’Histoire
Cet étranger anonyme auquel on s’attache au fil des pages, que l’on aimerait prévenir du danger qui le guette, cet étranger n’est pas sans rappeler Andri, le héros de Max Frisch dans Andorra, qui ployant sous le poids des préjugés, finira pendu sur la place publique. Destins similaires, parcours qui se répètent, un sentiment de déjà-vu sublimé par la langue de Saklova qui dévoile avec une délicatesse retentissante ce que nous savons déjà : il n’y a pas de vie sans amarres. (sbr)

Amarres, Marina Skalova, éditions L’Âge d’Homme, 79 p.

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