David Mitchell, au grand Meaulnes les grands remèdes

Si vous voulez tout comprendre de ce qui peut se passer dans la tête d’un gamin de 13 ans, bienvenue dans celle de Jason Taylor.

D’Ecrits fantômes à Cartographie des nuages, les historiques du Syllabus papier se souviennent peut-être que David Mitchell faisait incontestablement partie de notre Panthéon d’auteurs, alors même qu’il n’avait rendu que deux romans. Mais quelles baffes on s’était pris!
Avec Le fond de forêts, le voilà qui change de registre. Après les roman-mondes, voilà qu’il s’attaque au genre adolescent, sur les traces de Jason Taylor, treize ans et un fort bégaiement, des parents qui se font une guerre d’usure et des potes (despotes?) qui lui cherchent des noises, tête d’Anglais d’un village du Worcestershire. Ceci étant posé, la suite est virtuose. Où comment se mettre dans la peau d’un petit Briton pour écrire un grand roman sur l’adolescence, le genre à mettre entre les mains de tous les profs en cette veille de vacances, histoire qu’on range temporairement Grand Meaulnes et Guerre des boutons au placard et qu’ils cernent bien les problématiques rencontrées à cet âge. Des romans sur des ados, on en a lu, des verts et des pas bien mûrs. Mitchell, lui, place la barre très haut. D’abord en ouvrant son récit sur un postulat qui place immédiatement l’intrigue entre une resucée de Barbe Bleue et une cachotterie au moins digne des services secrets anglais. Ensuite, en jouant sur un imaginaire tim burtonien quand Jason s’égare en forêt et se retrouve nez-à-nez avec une femme que tout le village prend pour une originale au mieux, une sorcière au pire. Encore que les esprits adolescent peuvent vite se monter le bourrichon. Collant à Jason, Mitchell nous promène en multipliant les genres littéraires, mais sans jamais la ramener, et c’est là toute sa force. Car au-delà de toutes les apparences, Le fond des forêts est un grand roman social, époque dame de fer, avec famille qui se déchire derrière les rideaux de la bonne bourgeoisie, femme qui cherche l’émancipation à l’ombre d’un mari trop égo dépendant, enfants qui morflent dans les coins. C’est évidemment un grand roman d’apprentissage où les écueils de l’enfance doivent permettre de se construire: vais-je choisir les copains qui se la pètent avec leur club secret ou la brebis galeuse du village qui m’a toujours accepté (la réponse est dans la question)? l’amour n’est-il qu’une question de voyeurages à l’emporte-pièce sur les seins faramineusement laiteux d’Holly Deblin? et la poésie est-elle bien raisonnable dans un village baptisé Black Swan Green?
Du reste, je ne le dirais qu’une seule fois. Il serait bien dommage de passer à côté de l’un des très grands romanciers contemporains. Après, c’est tant pis pour vous. (mp)

 

Le fond des forêts, David Mitchell, Ed. de l’Olivier, 474 p. (www.editionsdelolivier.fr)

Vera et Rosa Candida, fleurs bourgeonnantes


A une année d’intervalle, les livres de Véronique Ovaldé et d’Audur Ava Olafsdottir retracent le parcours de Candide modernes en quête de leur Graal personnel. L’occasion d’un face à face épineux.

De quoi ça parle?
D’une jeune fille dénommée Vera Candida, native d’une île imaginaire d’Amérique du Sud baptisée Vatapuna, et qui, pour échapper au destin frappant les femmes de sa condition (avoir une fille d’un père dont on ne peut révéler le nom par honte, puis dépérir sans moufter), décide de larguer les amarres et d’embarquer pour Lahomeria, la grande ville la plus proche.

D’un jeune garçon dénommé Arnljotur, natif d’une île au nord de l’Europe et qui, pour prendre un bol d’air notamment après la mort de sa mère dans un accident de voiture, décide de tout laisser en plan pour partir, boutures de Rosa Candida dans le dos, à la recherche d’une roseraie extraordinaire où il pourra ajouter sa touche personnelle.

Pourquoi peut-on en parler comme de Candide modernes?
Dans un road movie empreint de réalisme magique et de rebondissements rocambolesques, Vera Candida est une femme-enfant d’une quinzaine d’années se retrouvant dans un foyer aux allures de bordel et tombe amoureux d’un journaleux qui va lui faire des misères avant de lui révéler un autre sens de la vie. Les chapitres sont rythmés au gré des tuiles qui lui tombent sur la tête, mais sans jamais l’empêcher de l’avancer.

Dans un road movie empreint de réalisme béat et de rebondissements qui feraient passer le film Des Hommes et des Dieux, pour un blockbuster hollywoodien, Arnljotur est un jeune garçon à peine sorti de l’adolescence se retrouvant dans un cloître aux allures de retraite magique et essaie de tomber amoureux d’Anna, une étudiante mise enceinte lors d’une coucherie passagère et qui va lui révéler un autre sens de la vie. Les chapitres avancent au rythme d’un temps comme arrêté, mais sans jamais l’empêcher d’avancer.

Quels sont leurs autres points communs?
La mère de Vera Candida, Violette, est un peu demeurée. En plus, la fille de Vera Candida se prénomme Monica Rose, joli écho au titre d’Olafsdottir.

Le frère d’Arnljotur est autiste. En plus, la fille d’Arnljotur se prénomme Flora Sol, un double prénom qui siérait à merveille à toute descendance sud-américaine.

Pourquoi on aime?
Parce que la Française Véronique Ovaldé sait camper des personnages féminins bordeline, mais volontaires comme pourrait les aimer une Isabelle Huppert, et qu’elle réussit à recréer des univers absolus, qu’il s‘agisse de banquise arctique, de campagne franchouillarde ou de contrées sud-américaines.

Parce que l’Islandaise Audur Ava Olafsdottir a réussi à camper un personnage masculin en pleine quête existentielle comme pourrait l’interpréter un Jérémy Rénier, et qu’elle réussit à décrire des lieux avec une étonnante simplicité d’évocation. (mp)

Ce que je sais de Vera Candida, Véronique Ovaldé, éd. de l’Olivier
Rosa Candida, Audur Ava Olafsdottir, éd. Zulma