Pantani, l’éléphanteau devenu pirate de la route

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Alors que « The Program » consacré à Lance le bras fort squatte les écrans de ciné, profitons d’un opuscule consacré à Pantani, l’un de ses meilleurs ennemis.

A part dans le milieu du vélo, je ne suis pas sûr de connaître un sport où les destins sont autant cassés, concassés, fracassés sur l’autel d’une gloire éphémère que ceux des professionnels du peloton vélocipédique. C’est qu’au royaume de la petite reine, les roitelets d’un jour apparaissent souvent comme autant de bouffons jetés en pâture aux gémonies des bords de route. Un cycliste, semble-t-il, doit avoir une vie qui épouse celle du bitume qu’il avale, faite de hauts et de bas, de grimpées et de vertigineuses descentes, à ceci près que lorsqu’il y a dérapage, les dégâts ne sont généralement pas jolis jolis à voir.
Ainsi de Pantani Marco, physique de poche aux oreilles éléphantesques, gamin pauvre de Cesenatico, Emilie-Romagne. Le prototype du grimpeur de génie pour qui chaque col équivalait à une forme d’ascension sociale gagnée à la force des mollets.
La voix de Rimini Cricket
Pantani a attendu ses 34 ans pour crever dans un hôtel de Rimini. Suicide. Ou pas. Jacques Josse en retrace le parcours cahotique tout au long de cent bornes textométriques, portrait par fulgurances d’un forçat de la route qui, pour un jour s’être rasé le crâne, s’était soudain mué en flibustier du goudron, attaquant à tout-va, le guidon entre les dents, le panache au vent, faisant sienne la devise du blaireau Hinault : « Tant que je respire, j’attaque ». Pantani tombe souvent, se relève d’autant. Pantani est attaqué de toutes parts, mais c’est lui qui, généralement, porte l’estocade finale. Héritier des Fausto « le Héron » Coppi, Claudio « Il Diablo » Chiapucchi et Charlie « l’Ange de la Montagne » Gaul, figure tutélaire de Renzo « le Cobra » Ricco ou de Vincenzo « le Requin » Nibali, Pantani s’est confondu avec le mythe, se brûlant les ailes pour s’être trop approché des cimes enneigées. Avec sa disparition, c’est un peu de folie qui a été balayée par le vent. Avec ce Marto Pantani a débranché la prise, c’est un peu de cette aura irradiante qui nous est rendue par accélérations ghislain-lambertiennes. (mp)

Marco Pantani a débranché la prise, Jacques Josse, env. 100 p., Ed. La Contre Allée (www.lacontreallee.com)

9782917817414FS

A la conquête de l’inutile

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Envoyé sur une planète afin de la rendre aussi désirable qu’un lopin de lotissements banlieusards, Morrison doit faire face aux éléments. « Lorsque les futurs d’hier rencontrent notre présent… ».

Imaginez une planète surpeuplée, une planète qui se viderait progressivement de ses ressources et des peuples s’évertuant à foncer tête baissée dans le mur du capitalisme le plus outrancier qui soit.
Imaginez maintenant que la solution se trouve ailleurs, sur d’autres planètes justement. Mars ou plus loin encore, soyons fous. Le scénario semble familier à vos JT quotidiens ? Il vous fait penser, par ailleurs, à un épisode de la série Cosmos 1999 ?
Partir ? Mais pour aller où ?
Robert Sheckley en a imaginé le scénario dès 1955 en envoyant une compagnie minière forer une astre lointain, ci-nommé Plan de Travail 35, avec l’objectif de construire une planète habitable, roulable et consommable, prête à l’emploi pour faire simple. Pour ce faire, le chef Morrison mène les travaux afin d’y « supprimer les montagnes, raboter les plaines, déplacer des forêts entières, modifier les cours des rivières, faire fondre les calottes glaciaires ».
Si Sheckley s’attaque ici à l’arrogance du productivisme à tout crin et au mythe consumériste de l’American Way of Life, il nous offre surtout une drôle d’histoire bien plus flippante. Celle de la fin de notre humanité (en exagérant à peine), condamnée par un aveuglement dispendieux et méchamment égotiste. Car si dans son récit la montagne se réveille et refoule ses colonisateurs opportunistes – « Je pense que la planète ne veut plus de nous » dit Morrison, il accouche d’une bien belle métaphore pour expliquer le déferlement de catastrophes naturelles qui touche notre Terre. Misérables face à la toute puissance des éléments, Morrison et ses équipages rembarquent leur matos en cata avant de se laisser dériver dans le cosmos. Et nous ? (mp)

PS. : cette collection regorgeant de quelques autres pépites, n’hésitez pas à vous gaver d’anticipations diverses avant qu’on en re-chronique un épisode à l’occasion.

La Montagne sans nom, Robert Sheckley, 41 p., Le passager clandestin / dyschroniques (www.lepassagerclandestin.fr)

9782369350408FS

Voir la mer et mourir

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Une histoire de coke et de surf, d’étudiants en goguette et de mafia serbe. Un premier roman dont personne ne ressort indemne.

Comme ça, pour oser un raccourci facile, on peut situer le premier roman d’Estelle Surbranche entre une virée aux enfers estampillée Virginie Despentes et l’obsession de la vague parfaite recherchée par le surfer-writer qu’est Kem Nunn. Sans abuser, on y glisserai bien aussi une touche de Marin Ledun pour l’ambiance basque.
C’est que le premier polar de cette DJ-reporter roule comme sur du papier à roulettes. A savoir que lorsqu’on a le malheur de mettre le doigt dans l’engrenage, non seulement la mécanique ne s’arrête pas, mais en plus celle-ci a la fâcheuse tendance de vous broyer tout cru.
Sea, sex & surf
En vacances biarrotes histoire de surfer la vague, Matthieu et Romain, étudiants mi fauchés mi loosers, touchent le gros lot. Sept kilos de coke déposés par la marée sur une plage abandonnée. Même si l’affaire pue les emmerdes, l’hésitation fait long feu et les voilà intronisés kings des nuits parisiennes avec une dope à faire se poudrer des armées de zombies plus ou moins friqués. C’est là que le bât blesse. Parce que que la mafia serbe est sur leurs basques (sans mauvais jeu de mots), et qu’elle a dépêché Nathalie, une tueuse incontrôlable, bouffée par son histoire personnelle, le genre à vous crever l’œil en guise de signature. Son contrepoint féminin s’appelle Levasseur, capitaine à la ramasse de son état, mais pas décidée à lâcher le morceau.
Sans temps mort , bien dialogué, au bénéfice d’une bande-son qui dit bien le punk’n roll du roman, Ainsi vint la nuit se prend de plein fouet. Un peu comme si, à trop vouloir s’enfiler un tube, celui-ci vous avalait et vous concassait façon machine à laver. Quand on met les doigts dans la prise, il faut s’attendre à une décharge. Ce qu’on sait moins, c’est que dans certaines situations, la dégelée fait qu’il n’y aura pas d’échappatoires. Ce qu’on aime aussi, c’est que l’auteur frappe sans prévenir. Les intrigues s’imbriquent sans être télécommandées, chacun vit sa vie à fond et advienne que pourra. Ainsi va la vie. (mp)

Ainsi vint la nuit, Estelle Surbranche, 349 p., éd. La tengo (www.la-tengo.com)

9782354610722FS

Jésus-Christ, superstar du rein congelé

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Avec son pèlerin mexicain aux prises avec la mafia russe, Jordi Soler nous sert un héros dont les choix vont déterminer les croix qu’il lui faudra porter. Loufoque, mais réaliste.

« Vous me garderez bien ce ragout au congélateur, Grand Saint ? » s’enquiert l’inquiétant Childeberto auprès de son nouveau gourou dès la deuxième séance. Sans se méfier, le Saint, de son petit nom Empédoclès, va héberger d’abord un, puis deux, puis dix récipients au contenu douteux dans sa cuisine.
Personnage en tunique blanche et sandales de cuir, ce pèlerin de quartier s’essaye à aider son prochain et à l’éclairer au travers de causeries qu’il tient tour à tour au marché, au bordel ou à son domicile, faute de disposer d’un lieu de culte. Objet de railleries ou d’admiration, Empédoclès peine à mener une existence autonome : ne gagnant pas un sou et dépendant de la générosité des ouailles, il mène une vie de doutes.
Ainsi, lorsque son frère lui colle un trafiquant d’organe dans les pattes, au motif d’avaliser sa carrière politique – nous sommes au Mexique – il accepte un peu par défaut. En moins de temps qu’il ne lui en faut pour réaliser son embarras, le voilà aux prises avec la mafia russe qui lui envoie des agents chargés de récupérer tel rein, tel œil, tel pied (sic) pour une transplantation urgente dans un hôpital de dernière zone.
Petit trafic et politique
Dans un univers trop loufoque pour paraître complètement réel, Jordi Soler déroule l’histoire d’un homme normal confronté à des choix ontologiques. L’histoire qui oscille sans cesse entre absurde et cruelle vérité (que celui qui n’a pas vu ces reportages sur le trafic d’organes en Amérique latine lève la main) fait rire par l’originalité des personnages mis en scène autant qu’elle dérange. Car l’auteur ne fait qu’effleurer, sans leçon de morale ni chiffres effrayants, une thématique pour le moins sinistre. On suit donc le narrateur, un reporter de l’extrême au quotidien, dans ses élucubrations journalistiques en même temps que la vie d’Empédo-(Damo-)clès, avec son épée sur la tête. (sbr)

Restos humanos, Jordi Soler, traduit de l’espagnol, 190 p., éditions Belfond (www.belfond.fr)

9782714457240FS

Diciembre 2011