Le si doux désespoir des hommes qui pleurent

coupe

critiques

Prix RTL-Lire 2012, ce court roman de Jean-Luc Seigle raconte la vie d’Albert, vétéran de la Grande Guerre et premier témoin de la révolution électroménagère. Un puzzle d’une densité stupéfiante.

D’un abord taciturne, Albert n’est pas de ceux qui s’épanchent. Ni avec sa femme, épousée au retour de cette fichue Grande Guerre qui l’a rendu silencieux, ni avec son fils ainé, parti en Algérie, et à qui il n’a jamais dit qu’il l’aimait. Non qu’il le regrette, car ce n’est pas comme s’il avait eu des affinités avec ce grand garçon chéri de sa mère. Non, à dire vrai sa préférence irait plutôt au cadet, Gilles, dont il perçoit la force poétique. Toujours son Balzac sous le bras, le petit est touchant… si loin de l’usine Michelin, si loin des préoccupations belliqueuses du Général de Gaulle, si proche d’une douceur qui lui a été niée dans l’enfance.
Sans qu’il le veuille, sa vie a pris un tour confortable – la télévision s’apprête même à entrer dans son foyer – et Albert comprend qu’il a perdu l’envie d’appartenir à ce monde moderne fait d’électroménager, de vétérans à qui on refuse le droit de vieillir et de jeunes à qui on répète qu’il vaut mieux être fils d’ouvrier que professeur.
Le matin de cette journée où il sera saisi par la mélancolie, Albert s’occupera à faire le ménage afin que chaque pièce du puzzle de son existence trouve sa place. Sans mièvrerie, sans vouloir tirer une larme à son lecteur, Jean-Luc Seigle signe un roman court d’une densité stupéfiante. Servi par une économie de mots qui rend son discours osmotique avec celui de son personnage principal, il nous surprend à chaque virage, quand bien-même il ne raconte rien d’autre que la vie. On en pleurerait. (sbr)

En vieillissant les hommes pleurent, Jean-Luc Seigle, éd. J’ai Lu, 250 p., www.jailu.com

9782290058169FS