Malenfance, conte adulte de Thomas Sandoz

critiques

Tour à tour conte initiatique, chronique familiale et carte méticuleuse d’un paysage en vie, le Malenfance de Thomas Sandoz déroule le périple d’un Petit Poucet égaré dans les montagnes neuchâteloises. Une madeleine littéraire.

Thomas Sandoz est un écrivain comme on les aime. Précis dans les mots, car il s’agit de ne pas les gaspiller, mais technique aussi et faisant baigner ses récits dans une marmite d’authenticité. Un raconteur emballant, de ceux qui savent vous emmener par la main pour vous narrer quelque quotidien somme toute angoissant, même si d’apparence particulièrement anodin.
Parce qu’il trouve un chaton blessé, Pouce, onze ans en ce mois d’avril 1978, loupe son train de retour. Va alors pour un périple à pinces, le félin en valant largement la fatigue. S’il périple avec une voiture Datsun dans la poche et un exemplaire d’Alice dans le sac à dos, c’est évidemment à un Petit Poucet égaré dans la vie grandeur nature auquel on a à faire là. Un vrai Pouce en chair et en os, confronté aux ogres d ela vie moderne, mais encore bien éloigné de la Poucette numérique due au philosophe Michel Serres. De zones industrielles en terre agricoles, ce Pouce-là évite au possible l’auto-stop et traverse des mondes au silence assourdissant, où sa vision nocturne déroule la pellicule d’un monde vivant, sable mouvant. Un paysage de carte postale en ombres chinoises, un milieu dur et dont la réalité vient se confronter à son histoire personnelle de gamin absent du quotidien de ses parents. Parce que le titre de l’ouvrage ne ment pas. Malenfance, c’est quand on a mal à son enfance et ça, même la poésie du néologisme n’arrive pas à nous en ôter le gôut âcre qui se terre, battu, au fond de la bouche.
Un périple nostalgique…
Sandoz travaille des mots qui montrent la réalité de la vie à travers les yeux d’un gamin. Un monde qui se meurt d’une certaine manière, année 1978 donc, une chronique apologique d’une ruralité belle, violente et qu’on pourrait rapprocher du cinéma naturaliste de Bruno Dumont version P’tit Quinquin. Un P’tit Quinquin mi Candide mi Causette, avec un peu de Stephen King quand même, c’est peut-être le Jura neuchâtelois qui crée cela. Malenfance, c’est un monde intérieur où les quelques morceaux de consommation (un serre-tête Adidas, des piles AA, un Puch Maxi Sport…) et de cathodisation (Lecanuet, Brejnev…) résonnent comme des néons dans la nuit noire, la nostalgie en plus.
...et des péripéties quotidiennes
Comme souvent, Sandoz parsème son récit d’une litanie d’événements mondiaux, manière d’ancrer un peu plus son récit dans la réalité. C’est que quand on lit le dernier Sandoz, au-delà du plaisir narratif, il y a cette sensation de toujours apprendre quelque chose, comme si la littérature n’était pas juste affaire de divertiseement, mais aussi d’enseignements. Sandoz, ce serait comme l’almanach Vermot mais en version romancée et avec une histoire qui parlerait à tout le monde. Cette fois un fait divers, de ces histoires qui indignent la populace entière, mais devant lesquelles personne n’est prêt à faire quoi que ce soit de particulier.
La bonne nouvelle, c’est qu’à la fin Pouce parvient à rentrer à la maison. La mauvaise, c’est qu’ici on n’est pas dans un conte de fées. (mp)

Malenfance, Thomas Sandoz, éd. Grasset, 159 p., www.ccdille.chwww.grasset.fr

9782246851615FS