Un opuscule à lire de bonne heure

critiques

Digne héritier d’une filière de romans « faciles à lire », Le liseur du 6h27 de Didierlaurent est garanti sans prise de tête. Parfait pour les grains de sable.

Les températures grimpent et, comme chaque année, vous vous demandez quels livres emporter en vacances.
Les adeptes de la lecture sur tablette vous rétorqueront que la question est devenue désuète depuis que les bibliothèques publiques s’équipent et mettent un nombre notable de ces objets au prêt, sans compter la pullulation de zones free wi-fi qui vous permettront de télécharger des centaines de milliers de mots aisément transportables.
Toutefois, pour ceux dont le poids d’un roman glissé dans la valise représente une valeur ajoutée, je recommande un bouquin très léger (dans tous les sens du terme) que vous aurez peut-être déjà aperçu dans les rayons : Le liseur du 6h27. Déjà comparé par certains éditeurs ou journalistes vénaux à des beaux coups tels que L’élégance du hérisson de Muriel Barbéry, La délicatesse de David Foenkinos ou encore à La liste de mes envies de Grégoire Delacourt, cet opuscule rassemble, de fait, les éléments qui assurent le succès : un brin de mutinerie contre le monde corrompu et capitaliste de l’édition (« Le liseur… » est au Diable Vauvert, un hasard ?), un personnage principal dont peu saisissent la grandeur d’âme, une histoire d’amour originale.
Ceux qui ont lu les textes auquel on le compare comprendront qu’il ne s’agit pas là d’un monument littéraire. La surabondance d’adjectifs et une quête de style palpable irritent. Mais pour peu que vous soyez en quête d’un prétexte pour lézarder au soleil avec, entre les mains, quelque chose de mieux qu’un Musso ou un Dan Brown – et de beaucoup moins bien qu’un Proust, alors lancez-vous. Il ne vous en coûtera que 217 pages et à peu près autant de grammes à transporter dans vos bagages. (sbr)

Le liseur du 6h27, Jean-Paul Didierlaurent, éd. Au Diable Vauvert, 217 p., www.audiable.com

9782846268011FS

Les garçons d’à côté

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Entre déni et indifférence, ils sont deux mômes à subir les moqueries, humiliations ou assauts sexuels de leur entourage.

De quoi ça parle ?
1. Le garçon d’à côté, c’est Jordan, un gamin introverti qui s’échine à mener une vie normale, alors même que ses parents, de bons bourgeois de l’establishment américain, occupent leur temps libre à le violer ou le prostituer pour satisfaire leurs fantasmes malsains.
2. Quant à Eddy Bellegueule, même âge, c’est avec des désirs homosexuels qu’il se débat. Décrié par un entourage familial modeste, alcoolisé, dont la violence verbale n’a d’égale que sa vacuité intellectuelle.
Deux tentatives d’envol, de reconnaissance, avec ce point commun chez les deux garçons : la certitude d’être transparent.

Pourquoi se plonger dans l’immonde, alors que la vie pourrait être belle ?
1. Effectivement, qui a envie de suivre l’histoire d’un môme abusé dont la mère, médecin!, a floué tout l’entourage à coup de muffins ? C’est tellement écœurant d’écouter Jordan raconter les « comment » de ses viols à répétition qu’on serait tenté de poser ce livre pour passer à des choses plus amènes. Or le tour de force de Katrina Kittle réside dans sa dextérité à transformer le cas de Jordan en un tremplin vers une réflexion profonde sur l’identité du Mal. Car si Sarah, mère de famille attentive, s’est laissée aveugler par les apparences de normalité du couple Kendricks, alors même qu’elle les fréquentait au quotidien, qui aurait pu faire tomber leur masque ?
2. De l’autre côté de la planète, dans une banlieue française ordinaire, Eddy n’aura pas besoin de s’ouvrir les veines pour qu’une voisine vienne le secourir. Pourtant devenu la cible de camarades malveillants qui prennent plaisir à lui cracher au visage au motif de sa démarche efféminée, il peinera à trouver une issue à son enfer. Cette « tentative de comprendre » sa différence le poussera à tâter du sordide, avant de prendre son envol.

Quels sont leurs autres points communs ?
Cette approche erronée de la sexualité, induite par des adultes qui n’ont que faire de détruire les premières illusions de deux garçons que la vie projette dans un univers où seul l’égoïsme règne en maître.

Pourquoi on aime ?
Parce que ces deux textes, en traitant de sujets ultra-médiatisés, nous obligent à aller au-delà des chiffres (tant de pourcent d’enfants abusés par leurs proches parents, tant d’élèves victimes de discriminations, tant d’inégalités sociales) pour faire la rencontre avec des individus et leur histoire à eux. Unique. Dérangeante. Humaine. (sbr)

Le garçon d’à côté, Katrina Kittle, éd. Phébus, 464 p., www.editionsphebus.fr
En finir avec Eddy Bellegueule
, Edouard Louis, éd. du Seuil, 224 p., www.seuil.com

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