Nu comme le Christ en croix

critiques

Capable du meilleur (Montedidio) comme du pire (Histoire d’Irène), Erri De Luca livre ici un texte d’une poignante poésie, d’une solidarité vraie et d’un amour profond de l’altérité.

Qu’est-ce donc que cette « nature » annoncée par le titre ? La nature, c’est bien sûr la nudité, celle des hommes et des femmes, celle que l’on s’entête à dissimuler dès que l’on entre en société. La nature, c’est aussi le sexe du Christ que des artistes tels Le Greco et Delacroix ont pris l’habitude de recouvrir d’une étoffe chaste afin de ne pas heurter l’Eglise. Nul besoin d’être expert en théologie pour imaginer les raisons de cette pudeur : le fils de Dieu exposant sa partie la plus intime, encore moins post mortem. Toutes ces femmes pieuses, adulant les statues d’un Christ au corps athlétique, concrètement charnel… impensable.
Ainsi, lorsque le curé d’une église voisine, sur ordre de sa hiérarchie, se met en quête d’un artisan capable de restituer à une œuvre majeure son aspect premier (le sculpteur pris de remords avait rajouté un voile sur l’intimité du Christ a posteriori et dans un matériau différent), on sent souffler un vent de saine hérésie.

L’introspection au service du sublime
Celui qui va s’attaquer à cette tâche délicate s’il en est, c’est le narrateur de ce récit étrange, un sexagénaire dont le nom restera un silence. Il y raconte son parcours chaotique, des montagnes de chez lui où il aide des migrants à traverser la frontière moyennant un sourire, jusqu’à la ville, un lieu où les solitudes se partagent à la table d’une pension pour pauvres ou dans un lit de fortune. Il évoque aussi ses interrogations tout au long du processus de restitution de la nudité originelle à cette statue dont il faut apprivoiser le grain, les courbes, la réactivité. Enfin, et ce sont là peut-être les plus belles pages, il s’interroge sur son rapport au sacré, lui qui se retrouve pris entre son agnosticisme et cette religieuse beauté.

L’écrivain engagé dans la sérénité
Capable du meilleur (Montedidio) comme du pire (Histoire d’Irène), Erri De Luca livre ici un texte d’une poignante poésie. On y retrouve des thèmes chers à sa littérature, son engagement pour une solidarité vraie, un amour profond de l’altérité, le tout dépourvu de gnangnantise. Certes, il défend des causes, mais il le fait avec la sérénité d’un homme qui n’a plus rien à prouver à quiconque, un artiste au sommet de son art. (sbr)

La nature exposée, Erri De Luca, éd. Gallimard / du Monde entier, 166 p.

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