Dernière montée au Ventoux

critiques

En racontant l’histoire d’une bande de potes sur les flancs du Mt-Chauve, Wagendorp fait se rencontrer vélo et poésie. Une belle étape littéraire.

Surgissant de nulle part au milieu des champs de lavande, le mont Ventoux, mont chauve pour les initiés, a tout d’un géant. Imprévisible, ardu, boisé ou pelé, pas un cycliste qui ne frémisse à l’idée de gravir ses flancs.
Dans son roman, Wagendorp met en scène ces désirs, multiples et protéiformes, d’un groupe de garçons dans le vent – et d’une fille – pris d’amour pour cette grimpette mythique.
Un été au camping
Partant d’une photo prise il y a une trentaine d’années au camping de Bédoin, Bart, désormais cinquantenaire, se met en tête de réunir les amis de l’été 82, celui qui les avait menés au sommet avant de les séparer de façon tragique. Tous épris de la même femme, Laura, ils avaient décidé de mettre les vélos dans le bus de David pour tenter l’aventure. Même le poète, Peter, s’était laissé prendre au défi, persuadé qu’il pondrait une fois arrivé au sommet une sorte de poème ultime et musical.
Or, comme chacun sait, l’ascension, pour difficile qu’elle soit, ne présente que peu de danger en regard de la descente, périlleuse tant pour le matériel que pour les mollets fatigués par la montée où on a tout donné.
On the road (à vélo)
En bon narrateur, Wagendorf travaille la tension dramatique et distille au compte goutte les révélations sur ce qui s’est réellement passé ce jour-là en Provence. Parsemant son récit de bons mots et d’anecdotes sur les travers des cyclistes, c’est avec délectation qu’on se laisse emmener sur le chemin de pèlerinage qui unira à nouveau la bande de grandes gueules de l’époque, le temps d’une dernière montée. (sbr)

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Ventoux, Bert Wagendorp, éditions Galaade, traduit du néerlandais, 309 p.

Et au milieu… repose une jeune fille

critiques

Une enfant pas farouche se noie dans la Tamassee, rivière sauvage à la frontière entre la Géorgie et la Caroline du Sud. Qui la repêchera ?

A l’exception des deux premières pages qui racontent la noyade du point de vue de la jeune fille, le reste de l’histoire passe par le prisme de Maggie, une photographe reporter qui a quitté la région sans jamais parvenir à briser le lien qui l’unit à cette terre. Dépêchée sur place avec un journaliste expérimenté afin de couvrir le drame, elle découvre rapidement que les enjeux sont multiples, et d’une inextricable complexité pour celui qui ne connait pas les fonctionnements des habitants du coin.
Ruth Kowalsky, douze ans, ne s’est pas seulement laissée séduire par les eaux vives de la Tamassee, elle en est également restée prisonnière. Les plongeurs ont beau s’acharner à repêcher son corps, les jours passent et rien n’y fait. La famille désespère, les médias débarquent avec leurs caméras, les trafics d’influence se mettent en place afin de trouver un moyen de donner une sépulture à la petite. Et puisque le père est aussi argenté que respecté, il en appelle à une entreprise spécialisée dans les barrages mobiles.
La Tamasse, torrent d’émotions
Une solution qui pourrait convaincre, si ce n’était le label « rivière sauvage » obtenu par la Tamassee il y a peu et qui lui confère un statut d’intouchable. Le débat s’oriente alors entre des écologistes militants opposés à la structure éphémère, des émotifs qui revendiquent le droit au deuil et quelques indécis. Le tout se discute en assemblées générales houleuses sous l’œil de Maggie, dont l’appareil photo saisit l’indicible. Une ride, une larme, une cassure.
La force de Ron Rash réside dans son aptitude à nous dépeindre la rivière comme un être volontaire que la rhétorique laisse froide. Témoin des douleurs des uns et des autres, la Tamassee accompagne parfois les discours, pour mieux les briser ensuite. Elle demeure sauvage, au sens le plus vrai du terme, insensible aux fantômes qui planent sur son lit. Belle et rebelle.
Les personnages, loin d’être manichéens, sont dépeints avec toutes leurs contradictions, laissant au lecteur le soin de choisir son camp. Un texte subtil, profond, bien au-delà d’un militantisme écologiste aveugle qui montre et démontre avec intelligence combien les apparences peuvent tromper. (sbr)

9782021109849FS

 

 

 

 

Le chant de la Tamassee, Ron Rash, Ed. du Seuil, 234 p.