Kubrick à brac/ébecois

critiques

En 52 fragments, Simon Roy tisse sa toile entre le Shining de Kubrick et une intime tragédie familiale. Un essai aussi détaillé que profondément troublant.

(Québec, épisode 2)
Par un pur hasard de lectures, mon dernier post concernait Le dossier Alvin, une fiction d’Alessandro Mercuri s’ouvrant sur une projection avortée de Dr. Strangelove.
Le premier roman du Québecois Simon Roy (Prix des libraires du Québec 2015) est, lui, tout entier tourné vers The Shining, une autre œuvre de Kubrick vue près d’une quarantaine de fois par l’auteur. Autant dire que lire Simon Roy, c’est revoir le film, image par image, chaque scène étant comme décortiquée par l’auteur au regard de son expérience personnelle. La mise en abîme est flippante et vertigineuse.
« Monsieur Hallorann, qu’est-ce qui s’est passé dans la chambre 237 ? »
Ma vie rouge Kubrick, c’est une plongée dans les méandres obsessionnelles de Kubrick, à la manière de Room 237, le documentaire de Rodney Ascher, doublé d’un roman familial des plus tragiques. L’histoire d’un gamin de dix ans qui, pour avoir un jour zappé sur le film, « bol de chips entre les jambes », allait si ce n’est voir sa vie toute entière chamboulée, en tous les cas la découvrir profondément marquée au fer rouge. C’est qu’en 52 fragments, Roy découpe son récit autour du film de Kubrick pour laisser apparaître la raison d’être de son essai. Le meurtre en 1942 de sa grand-mère par le Dr. Jacques Forest, son mari, de plusieurs coups de marteau. Il le dit lui-même : « Comprendre mon grand-père est peut-être hors de mes capacités, mais au moins j’aimerais trouver une prise pour appréhender de manière rationnelle la question de son esprit criminel. » Jacques Forest vs Jack Torrance, le gardien de l’hôtel Overlook joué par le démoniaque Jack Nicholson, double hypothétique de Jack Kubrick, père d’icelui et médecin lui-même. Sacrée boucle en vérité.
52 ou la seconde vie
En 52 fragments (on aurait aimé 42 afin de coller au plus près des préoccupations chiffrées du cinéaste, mais bon la référence renvoie plus sûrement au cycle semainier d’une année académique à la manière du livre de Geneviève Brisac, 52 ou la seconde vie, éd. de l’Olivier), il s’approche au plus près d’une tragédie familiale qui le poursuivra jusqu’au suicide de sa propre mère. En détricotant son histoire, il nous offre une lecture multiple, où les souvenirs viennent s’enchâsser aux interrogations et aux anecdotes diverses, où ce « Génie en herbe » en vient à se demander si la folie est une maladie héréditaire. Dans ce qu’il appelle sa « généalogie macabre », Simon Roy nous offre à la lumière de The Shining, une relecture de son existence sur le fil du rasoir. Et nous incite du coup à nous demander quel film pourrait venir éclairer notre existence personnel. Le Meilleur (avec Robert Redford) ?
A la fin de l’ouvrage, on a envie de revoir le film. Puis de relire le livre. Puis de revoir le film. Les chiffres ont leur importance : la mère de l’auteur réside dans la chambre 21, moitié du chiffre absolu de Kubrick ; la tragédie aura lieu en septembre 1942 ; le suicide de sa mère en 1984…). Et ainsi de suite, jusqu’au fatal point final. Un jour, on mesurera définitivement l’importance du Picasso du 7ème art. Alors, on n’oubliera pas de se rappeler de cet important petit ouvrage de Simon Roy. (mp)

Ma vie rouge Kubrick, Simon Roy, 166 p., éd. du Boréal (www.editionsboreal.qc.ca)
L97827646233291