La vie en boîte selon Nicolas Dickner

critiques

Dans un monde de plus en plus connecté, où va se nicher la liberté ? Roman foisonnant, le dernier ouvrage de Nicolas Dickner est un vent de folie dans le texte, un précis de vie dans les marges. Une urgence littéraire.

Petite confidence. Cet été, la virée familiale m’a déporté à l’est, direction le Québec. Pour faire court, j’ai adoré, à m’en faire monter les larmes aux yeux de plaisir. Et le dernier jour, j’ai fait une razzia de littérature locale, livres et magazines mêlés, notamment à la librairie Le port de tête de Montréal. Que du bon pour l’instant. Qu’ils en soient ici remerciés.
Alors, on va gentiment chroniquer du québecois dans les semaines à venir.
Un concentré de liberté
On ne va pas se mentir, le Six degrés de liberté de Dickner m’a d’abord attiré pour sa couverture signée Tom Gauld. Ce qui d’ailleurs pose la question : un livre peut-il être bon rien qu’à sa couverture ? Je dis oui.
Sinon Dickner nous plonge dans une petite ville de Montérégie dans le quotidien de Lisa Routier-Savoie (attention indices), une ado de 15 ans éprise de liberté et pas décidée à vivre le restant de ses jours dans un cul du monde aussi bucolique soit-il. Eric, son meilleur (et seul) poto, est un geek / hacker agoraphobe. Son père retape de vieilles bicoques, sa mère est accro aux virées dominicales chez Ikea. Allez comprendre. La vie suit son cours, lancinante, pas palpitante, jamais vraiment révoltante. Quand Eric doit follower sa mère au Danemark pour raisons sentimentales, leur amitié s’en retrouve placardisée, réduite à des skype épisodiques. Quand Eric commence à cartonner dans le web-business, elle s’interroge sérieusement sur sa place au monde. Alors elle va rêver en grand en se faisant toute petite. Et lui proposer un jeu grandeur nature, à la démesure du monde uniformisé qui les entoure : faire le tour du monde à bord d’un conteneur réfrigérant en « hackant » les systèmes informatiques des compagnies de transport et des autorités portuaires. Ceci afin de voyager incognito et de s’offrir une sorte de trip ultime. Voyager tout autour du monde, mais enfermée dans un container aménagé pour tenir une pétée de mois ; voyager physiquement, mais sans rencontrer âmes ou paysages qui vivent. Plutôt que voir le monde à travers la fenêtre de son écran, Lisa se fond dans l’engrenage d’un Tetris mondial fait de centaines de milliers de conteneurs de transport. Elle est l’aiguille dans la botte de foin. Le pixel dans la ligne de code. Une manière de s’interroger sur le global system, le container étant l’arme du capitalisme délocalisé. Histoire de pimenter le jeu, elle est poursuivie par des agents de la GRC (Gendarmerie Royale du Canada).
Un puzzle littéraire
Alors jetez vos séries télé enquillées à la suite par pack de trois ou quatre, poussiérisez les aventures de Lisbeth Salander sur une étagère de votre salon, osez un pas de côté en délaissant le best-seller annoncé de Joël Dicker pour celui mérité de Nicolas Dickner. Vous allez en jubiler de plaisir. Parce que c’est un livre qui s’ajuste comme un puzzle de 1’000 pièces. Parce que son écriture fourmille de détails essentiels qui font le sel de la vie. Parce qu’il met en scène le monde dans lequel on vit et que l’espace de liberté que Lisa a trouvé, il est de plus en plus difficile à localiser. Parce que le global nous absorbe et que les zones d’oubli se font rares.
Parce qu’il recèle de tant de clefs de lecture qu’on pourrait en écrire des tartines et qu’on préfère fermer les yeux en cherchant son propre voyage intérieur. (mp)

Six degrés de liberté, Nicolas Dickner, 381 p., éd. alto (www.editionsalto.com)
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